Noir.
Le vrombissement des moteurs passage incessant démarreurs accélérateurs crissement de pneus sur bitume perdu dans l’orchestre mécanique le chant du Merle. J’ouvre les volets ou je vais rater l’automne. La guirlande lumineuse suspendue au coin du mur ne fonctionne plus depuis des mois - les plantes racines atrophiées en pots s’écroulent de désespoir -les livres jamais empruntés se sentent mal-aimés - fleurs fanées dames mortes de l’été - il y a un pot avec toutes les ampoules en trop - des souvenirs punaiser aux murs pour attiser ma sensibilité - des messages partout devant lesquels je tourne en rond. Le ciel est gris coloré flash orangé qui ne s’endors jamais, le murmure de la ville se lève avant les premiers oiseaux. Trois mouches tournent au dessus de mon cadavre encore vivant. Nettoyage intérieur, intérieur extérieur, d’extérieur numérique corps d’intérieur numérique corbeille de pixel ou de raphia. Musique doucereuse rassurante enveloppante enveloppons-nous simplement entre ces draps, l’hiver est presque.
Matin, la lumière pas encore tout à fait, matin la lumière chimère, matin j’ai oublié pourquoi en boucle il se lève. Un cortège de vélos scandant un Papa une Maman pas de PMA sans Papa. Une femme, un homme, un garçon et une fille bocal à la main gantée, échine courbée, chacun.e à la minutie des cueilleur.euse.s récolte les mégots qui jonchent le sol. Deux chiens blancs se saluent de chien à chien, dans une chorégraphie burlesque leurs laisses et leurs maîtresses s’entremêlent.
lire/ranger/dormir
dormir/ranger/lire
lire/dormir/ranger
ranger/dormir/lire
dormir/lire/ranger
ranger/lire/dormir
« Il y a une connexion entre l’économie et l’environnement qu’il me semble important d’introduire sans attendre : l’histoire humaine de la concentration de richesse qui fait à la fois des humains et non-humains des ressources dans lesquelles investir. Cette histoire a poussé les investisseurs à enrôler dans l’aliénation aussi bien les gens que les choses, à les soumettre à cette idée qu’il est possible de vivre isolé, indépendamment des autres, comme si l’enchevêtrement des vies n’avait pas d’importance. Dans le processus d’aliénation, les personnes et les choses deviennent des ressources mobiles, elles peuvent être déplacées du monde dans lequel elles vivaient, sur des distances considérables pour être échangées contre d’autres biens vivant dans d’autres mondes, partout ailleurs. »

Le champignon de la fin du monde,
Anna Tsing
Sur une ère d’autoroute, je m’assoie sur un terre-plein plein de terre stérile pour fumer une énième roulée. En face de moi rien d’autre qu’un champ barbelé avec pour seule plantation une immense éolienne. Béton et vibrations. Rien autour ne semble épanouissant. Pourtant je me sens entière, ici, sur ce trottoir, clope au bec et pensées au sabotage électrique. En voulant reprendre le stop je m’avances vers la sortie de l’ère et tombe nez à nez avec un panneau sens interdit où est encré au marqueur sur le rectangle blanc : « NOUS DANSONS SUR LES RUINES DE VOTRE MONDE. »
Migraine nocturne je me roule en boule aux bruits synthétiques du duvet, use des huiles essentielles après un trop long temps d’attente au regard trois-quart sur les ombres qui jonchent mon abris, limaces êtes vous à l’intérieur ou à l’extérieur ? Va-t-il y avoir un village sur mon chemin aujourd’hui ?
Regard en biais sur les routes, roues sur bitume m’exaspèrent. Peut être n’y a t’il rien d’autre à faire ici bas, que de marcher pour moi. Migraine est revenue, j’ai mal au corps, je peine à avancer - les épaules plus que jamais bandées. Après avoir traversé les collines où demeurent ânes, moutons, vaches et paysan.ne.s je trouve le confort sur une chaise métallique à la terrasse d’une cantine pour routier.e.s en bordure de la nationale que je vais longer pour atteindre Deba. Mon vieux téléphone n’a presque plus de batterie. Étrangement cet objet me rassure. Il me permet d’avoir une notion précise des heures et me rattache immatériellement aux personnes de mon entourage habituel. Il me permet d’appeler à l’aide sans attendre de réponses. Devant moi des platanes taillés en chat reliés les uns aux autres par leurs branches- par reliés je veux dire fusionnés. Second café, tout à l’heure au bord de la route un chien mort.


Marcher marcher marcher marcher marcher les épaules, les pieds, les genoux, le bassin, marcher au travers des forêts artificielles de Pins et d’Eucalyptus, forêts plantées, arrivées à maturité aussitôt dévastées. Marcher une journée dans un enfer enfanté de l’avidité, je rencontre le diable, il veut dormir dans ma tente. Mon corps se paralyse. Je respire pour attraper mon esprit. Je choisi de transformer la peur en colère. Désormais mon bâton heurte le sol de toute la rage que je contiens.
« Nos forces tournent sur elles-mêmes, dans un court-circuit narcissique qu’exprime au mieux l’extraordinaire succès de la psychanalyse. Connectés à nous mêmes, nous plongeons en apnée dans notre intériorité pour trouver à nos problèmes une solution qui n’existe que hors de nous, à l’air libre, dans ce qui nous arrache et nous excentre. L’individualisme n’a fait qu’amplifier ce repli maladif, cette peur du « mal connu » puis du « pas comme nous » de l’étrange puis de l’étranger, jusqu’à redouter le tout proche avec lequel on n’ose désormais partager ses désirs et ses flux. »

La zone du dehors,
Alain Damasio
CARNAGE